Précisions sur la complexité d’un projet et recours au contrat de partenariat

Les contrats de partenariat public-privé sont aujourd’hui au cœur de l’actualité. Après la production d’un rapport parlementaire au cours du mois de juillet (Les partenariats public-privé : des bombes à retardement ?), le Conseil d’Etat  vient de se prononcer sur la légalité d’une délibération d’un Conseil municipal autorisant la conclusion d’un contrat de ce type (CE, 30 juillet 2014, Commune de Biarritz, N°363007).

La rareté des décisions rendues par le Conseil d’Etat et portant sur la conclusion de contrats de partenariat est le premier point à signaler. En recherchant dans la base Ariane Web grâce au plan de classement de la jurisprudence administrative (n° 39-01-03-05), seules trois décisions apparaissaient (CE, 23 juillet 2010, Jean-Pierre LENOIR et autres, n° 326544CE, 3 juillet 2013, société Citelum, n° 363007, et la décision commentée).

Le premier arrêt porte sur la notion d’urgence qui est l’un des trois critères permettant aujourd’hui de recourir à un contrat de partenariat (n° 326544) alors que le second arrêt concernait un recours en cassation suite à l’annulation d’une mise en concurrence par un Juge des référés précontractuels (n° 366847).

La décision analysée est la première qui porte que la mise en œuvre du critère de la complexité du projet notamment mentionné à l’article L. 1414-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008 :

« Les contrats de partenariat ne peuvent être conclus que pour la réalisation de projets pour lesquels une évaluation, à laquelle la personne publique procède avant le lancement de la procédure de passation :

a) Montre ou bien que, compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n’est pas objectivement en mesure de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet, ou bien que le projet présente un caractère d’urgence ;

[…] »

En l’espèce, la commune de Biarritz a décidé de recourir à un contrat de partenariat pour la réalisation d’un projet dénommé « Biarritz-Océan « . La signature de ce contrat a été autorisée par une délibération du Conseil municipal en date du 23 juillet 2008.

Un conseiller municipal a contesté cette décision, acte détachable du contrat, devant le Tribunal administratif de PAU par le biais du recours pour excès de pouvoir, seule voie de droit ouverte pour les contrats conclus avant l’arrêt Département du TARN et GARONNE (CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994).

Toutefois, cette solution a été infirmée en appel par la Cour administrative de BORDEAUX qui a annulé la délibération du 23 juillet 2008 tout en indiquant que cette annulation n’avait aucune conséquence sur le contrat conclu (CAA BORDEAUX, 26 juillet 2012, M. Jean-Benoît A, n° 10BX02109).

La Collectivité s’est pourvue en cassation.

Le Conseil d’Etat, après avoir annulé l’arrêt pour absence d’examen par le Juge d’appel d’une irrecevabilité soulevée par la Commune, a sanctionné la délibération litigieuse.

Tout d’abord, il a indiqué que le moyen tiré de ce que les conditions de recours au contrat de partenariat ne sont pas réunies peut être utilement soulevé à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte par lequel la signature d’un tel contrat est autorisée.

Il a ainsi transposé aux contrats de partenariat le principe suivant lequel la procédure aboutissant à la conclusion d’un marché public est une opération complexe (voir en ce sens : CE, Sect., 29 décembre 1997, Préfet des COTES D’ARMOR, n° 145567).

Ensuite, la juridiction a relevé que la Collectivité avait justifié le recours au contrat de partenariat en raison de la complexité technique du projet ainsi que de la complexité du montage juridique et financier à établir. Ces deux éléments ont été successivement vérifiés :

En premier lieu, le Conseil d’Etat a mentionné que la seule invocation par la Commune de la complexité des procédés techniques à mettre en œuvre ne peut suffire à justifier légalement le recours au contrat de partenariat.

En deuxième lieu, les Sages du Palais-Royal ont précisé les éléments à prendre en compte pour vérifier l’existence du critère technique au sens de l’article L. 1414-2 du code général des collectivités territoriales.

A cet égard, ils ont indiqué que « pour apprécier la capacité objective de la personne publique à définir seule et à l’avance les moyens techniques permettant de répondre à ses besoins et, par suite, pour déterminer si la complexité technique du projet justifie légalement le recours au contrat de partenariat, il n’y a pas lieu de tenir compte des études postérieures au lancement de la procédure de passation du contrat que cette personne publique serait en mesure de confier à un tiers, soit dans le cadre du contrat de partenariat qu’elle envisage de conclure, soit au titre d’un contrat distinct ; qu’en revanche, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble des études, même réalisées par des tiers, dont la personne publique dispose déjà à la date à laquelle elle décide de recourir au contrat de partenariat ».

Analysant les pièces du dossier, le Conseil d’Etat a relevé qu’un contrat de maîtrise d’œuvre portant sur l’un des bâtiments objet du contrat de partenariat public-privé a été conclu préalablement à la passation de cette convention. Ce contrat de maîtrise d’œuvre a donné lieu à l’établissement de documents précis (un avant-projet détaillé et à des études de projet) qui ont été utilisés lors de la consultation des entreprises.

Dans une analyse non reprise expressément par le Conseil d’Etat, la Cour administrative d’appel de BORDEAUX (n° 10BX02109) avait rappelé le contenu de ces documents en se fondant sur le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993: «  les études de projet ont pour objet de préciser par des plans, coupes et élévations, les formes des différents éléments de la construction, la nature et les caractéristiques des matériaux et les conditions de leur mise en œuvre, de déterminer l’implantation, et l’encombrement de tous les éléments de structure et de tous les équipements techniques, de préciser les tracés des alimentations et évacuations de tous les fluides, d’établir un coût prévisionnel des travaux décomposés par corps d’état, sur la base d’un avant-métré, de permettre au maître de l’ouvrage, au regard de cette évaluation, d’arrêter le coût prévisionnel de la réalisation de l’ouvrage et, par ailleurs, d’estimer les coûts de son exploitation et enfin, de déterminer le délai global de réalisation de l’ouvrage ; que les études d’avant-projet définitif ont pour objet de déterminer les surfaces détaillées de tous les éléments du programme, d’arrêter en plans, coupes et façades les dimensions de l’ouvrage, ainsi que son aspect, de définir les principes constructifs, les matériaux et les installations techniques, d’établir l’estimation définitive du coût prévisionnel des travaux, décomposés en lots séparés, de permettre au maître de l’ouvrage d’arrêter définitivement le programme, et de permettre l’établissement du forfait de rémunération dans les conditions prévues par le contrat de maîtrise d’œuvre »

Or, malgré l’avancement du projet antérieurement à décision de recourir à un contrat de partenariat, la Commune n’a pas, selon le Conseil d’Etat, fournit de précision suffisante de nature à établir qu’elle n’était pas été objectivement en mesure de définir les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins.

Par ailleurs, la Commune a fait état de la complexité de la scénographie de l’un des ouvrages et de la nécessité de faire appel à des équipements de haute technologie. Mais, à nouveau, les Sages du Palais-royal ont considéré que cet aspect du projet ne permettait pas de justifier le critère de complexité d’autant qu’il a été exclu du périmètre du contrat au cours de la phase de dialogue compétitif.

En troisième lieu, la Juridiction suprême de l’ordre administratif a jugé que le regroupement des deux composantes du projet n’est pas, en l’espèce, suffisant pour choisir le recours au contrat de partenariat « alors même que ce rapprochement aurait été décidé dans un souci d’optimisation des coûts et de complémentarité dans la gestion de ces équipements ».

En quatrième et dernier lieu, le Conseil d’Etat a considéré que la Collectivité n’a pas justifié son impossibilité à établir le montage financier et juridique du projet pris dans son ensemble.

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L’un des intérêts de cette décision réside dans la précision des éléments devant être pris en compte pour apprécier si la complexité du projet permet le recours au contrat de partenariat : seules les études dont la personne publique dispose déjà à la date à laquelle elle décide de recourir au contrat de partenariat peuvent être prises en compte par les juridictions administratives.

Toutefois, il aurait été utile d’indiquer si une expertise ordonnée par une juridiction au cours d’une procédure juridictionnelle peut elle aussi servir à cette analyse.

En effet, le recours d’autres contrats globaux, reposant également sur les difficultés techniques du projet, comme les marchés de conception-réalisation a été déclaré illicite suite à une expertise technique (Conseil d’Etat, 7 / 5 SSR, du 28 décembre 2001, Conseil régional de l’ordre des architectes d’AUVERGNE, n° 221649, publié au recueil).

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Par ailleurs, on peut regretter que le Conseil d’Etat ne se soit pas prononcé sur les conséquences de l’illégalité relevé sur le contrat de partenariat conclu par la Commune de BIARRITZ. Le requérant initial n’avait demandé à ce que le juge de l’exécution se prononce sur les suites de la décision du Juge de l’excès de pouvoir.

Il est constant depuis la jurisprudence OPHRYS (CE 21 février 2011 Sté OPHRYS n° 337349 et 337394) que «  l’annulation d’un acte détachable d’un contrat n’implique pas nécessairement la nullité dudit contrat ; qu’il appartient au juge de l’exécution, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, d’enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec un effet différé, soit, eu égard à une illégalité d’une particulière gravité, d’inviter les parties à résoudre leurs relations contractuelles ou, à défaut d’entente sur cette résolution, à saisir le juge du contrat afin qu’il en règle les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée ; »

Or, en l’espèce, ce n’est pas la simple délibération autorisant la signature du contrat qui est mise en cause mais le choix du dispositif contractuel mis en œuvre par la collectivité. Aucune mesure de régularisation ne semble pouvoir être mise en œuvre.

La résolution du contrat amiable ou par le Juge du contrat semble être la solution devant être retenue sous réserve de l’atteinte excessive à l’intérêt général qui pourrait en résulter.

Une décision de ce type a été prononcée par la Cour administrative de LYON dans un arrêt récent.

Cette juridiction a qualifié  : « le vice entachant la délibération et la décision en litige, tiré de l’illicéité du recours au contrat de partenariat, a affecté le bien-fondé du contrat ; qu’ainsi, cette irrégularité, d’une particulière gravité, et qui n’est pas régularisable, est de nature à justifier la résolution du contrat ; que, par suite, il y a lieu d’inviter la commune de Commentry et la société d’équipement de l’Auvergne à résoudre leurs relations contractuelles ou, à défaut d’entente sur cette résolution, à saisir, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, le juge du contrat afin qu’il en règle les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée ; qu’il n’appartient pas au juge de l’injonction, lorsqu’il estime qu’un vice justifie la résolution du contrat, de se prononcer sur les atteintes à l’intérêt général, qu’il appartiendra au seul juge du contrat d’examiner ; qu’il n’y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte ; »  (CAA LYON, 2 janvier 2014, Conseil régional de l’ordre des architectes d’Auvergne, n° 12LY02827).

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Ces derniers mois, plusieurs juridictions (CAA BORDEAUX, 26 juillet 2012, M. Jean-Benoît A, n° 10BX02109 confirmé par l’arrêt commenté et CAA LYON, 2 janvier 2014, Conseil régional de l’ordre des architectes d’Auvergne, n° 12LY02827) ont sanctionné des actes détachables de contrats de partenariat public-privé pour défaut de preuve du critère de complexité.

Même si l’approche opérée dans l’une de ces décisions a été qualifiée par une partie de la doctrine d’« étriquée » et d’« erronée » (Stéphane Braconnier, Regards sur les nouvelles directives marchés publics et concessions – deuxième partie : passation et exécution des marchés et concessions, JCP G 2014, doctr n° 596), il semble que le critère de la complexité constitue aujourd’hui le point faible du recours au contrat de partenariat.

Pour amméliorer la sécurité des contrats de partenariat public-privé, la précision législative de ce critère, première recommandation du rapport sénatorial susvisé, apparaît nécessaire car les dispositions de l’actuel article L1414-2 du Code général des collectivités territoriales n’ont pas été substantiellement modifiées par la loi n°2008-735 du 28 juillet de 2008.

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